La muraille mérinide de Šālla conserve sur sa paroi intérieure les restes d’une épure, peinte et incisée dans le matériau (
At the internal face of the Merinid walls of Šālla, there are preserved the remains of a sketch engraved and painted on the fresh surface of the rammed earth (
La muralla meriní de Šālla conserva en su cara interior los vestigios de un boceto inciso y pintado en el tapial todavía fresco. Contemporáneo de la construcción de la puerta de aparato que da acceso al recinto, representa una versión preliminar, y ligeramente distinta, de su fachada actual principal. Se trata de un documento único en la arquitectura islámica occidental. El estudio de este boceto pasa por la comprensión y la puesta en evidencia de la importancia y de la naturaleza del papel dado a la puerta misma, siendo también ella un monumento excepcional tanto por sus cualidades estéticas como por el mensaje que tenía que trasmitir. Por ello, era imprescindible establecer un estado pormenorizado de los aparejos constructivos y de la ornamentación de las dos fachadas monumentales de la puerta y analizar escrupulosamente el contenido de las inscripciones que se desarrollan en ellas. A este respecto, los documentos elaborados a partir de los levantamientos fotogramétricos y presentados en este artículo no tienen equivalente, por su grado de precisión, en el campo de los estudios de la arquitectura meriní. El estudio epigráfico muestra, además, cómo -en una dinámica de expansión del šarīfismo- el sultán meriní,
Des cas d’épures de plans ou d’élévations d’édifices majeurs ou de certains de leurs éléments architectoniques (arcs, voûtes, etc.), tracées sur les parois mêmes de ceux-ci (incisées ou peintes sur l’enduit ou sur la pierre), ne sont pas rares dans le monde occidental médiéval, en particulier dans le cadre des chantiers de grands complexes religieux (par exemple
En revanche, on n’en connaît pratiquement aucun équivalent dans le monde islamique. Car il ne s’agit en effet ni de simples graffiti, comme ceux des maçons constructeurs de Madīnat al-Zahrā’ (
Parmi les exceptionnels cas connus de véritables dessins d’architecture sur pierre, béton ou enduit, le plus ancien est peut-être celui du
Pour al-Andalus, on citera bien sûr le schéma directeur d’un arc trilobé relevé par R. Velázquez Bosco dans la cité califale de Madīnat al-Zahrā’ et aujourd’hui disparu (
Il existe cependant au Maroc un document exceptionnel par ses dimensions, la qualité de son état de conservation et l’information potentielle qu’il renferme quant à l’organisation et au fonctionnement des chantiers de construction princiers en Islam d’Occident. C’est l’épure de l’arc de la porte principale de la cité funéraire mérinide de Šālla à Rabat, tracée approximativement à l’échelle 1/1 dans la
A. Porte d’apparat (accès principal) ; B. Emplacement de l’épure architecturale mérinide étudiée dans cet article ; C. Bāb ‘Ayn Aǧanna ; D. Bāb al-Basātīn ; E.
Pour en revenir à Šālla, rappelons que l’enceinte fut édifiée en 1339 par le sultan mérinide Abū l-Ḥasan (r. 1331-1348) pour conférer définitivement un caractère « urbain » à la nécropole princière qui s’était constituée depuis un peu plus d’un demi-siècle sur l’emplacement de l’établissement antique de
La première et la seule monographie consacrée à Šālla, œuvre de H.
Les restes de l’épure que nous étudions ici sont pratiquement inédits car seule une photographie et une courte description en furent publiées, en 1932, dans une revue locale destinée au grand public, par
Comme nous allons le voir en détail plus avant, ce témoignage de l’art des constructeurs mérinides comprend le tracé régulateur de la partie supérieure du grand arc polylobé de la porte principale, incisé au compas, ainsi que le décor végétal prévu pour les écoinçons (entrelacs de palmes lisses timbré d’une coquille) et le médaillon quadrilobé sommital renfermant une inscription, peints en rouge brique. Dans sa version définitive, ce qui n’est ici qu’ébauché fut réinterprété et sculpté dans la pierre.
Cet article se donne donc pour but de faire connaître cet exceptionnel document aux archéologues, architectes et historiens de l’art, spécialistes du domaine islamique. Dans la mesure où s’impose pour cela une comparaison minutieuse avec le décor monumental de la porte d’apparat tel qu’il fut finalement sculpté, nous choisîmes de relever non seulement l’ébauche peinte et incisée mais aussi les deux façades, intérieure et extérieure, de ce monument. Les relevés architecturaux se devaient d’atteindre une précision maxima pour que l’étude comparative fût fiable et pour pouvoir déterminer avec certitude la possible relation entre épure et façade, en ce qui concerne tant la structure géométrique sous-jacente que le répertoire ornemental formel. Les ortho-relevés, qui sont le support même de ce travail, ont été obtenus à partir de nuages de points 3D restitués grâce au programme informatique
Notons que ces représentations vectorielles de haute précision constituent en elles-mêmes un résultat essentiel de ce travail. Elles ont vocation à servir de base à tout moment à d’autres types de recherche, sur l’édifice comme sur des monuments similaires. Elles sont ici accompagnées d’une description détaillée qui met en relief tout à la fois les nouveautés apportées par les architectes mérinides au regard de leurs prédécesseurs et le poids de l’héritage qu’ils eurent à assumer. Pour être conséquent avec cet esprit de comparaison, il convenait d’intégrer l’analyse épigraphique à cette étude, tant parce que l’œuvre finale est - de ce point de vue - une variante du projet de l’épure, que parce que l’inscription principale rend compte du rôle de bâtisseur ostensiblement assumé par le sultan mérinide.
Les autres parties de l’édifice ont été élevées en briques pour les voûtes et en maçonnerie de moellons ou en
On prendra mieux conscience de la nécessité qu’il y avait à établir un relevé photogrammétrique détaillé de la façade de la grande porte de Šālla, qui permît de comparer l’épure avec l’état définitif de cette façade, si l’on confronte le document que nous avons élaboré (
Dessin à la plume de J. Hainaut (selon H.
Mais revenons auparavant sur quelques caractéristiques de cette porte. Celle-ci constitue un corps de bâtiment barlong, saillant à l’intérieur de l’enceinte et flanqué à l’extérieur de deux tours polygonales. L’accès se fait en simple coude et les deux façades ornées s’élèvent donc perpendiculairement l’une à l’autre (
La façade extérieure s’organise en cinq plans se succédant à des niveaux de profondeur croissants depuis le cadre de la composition. Pour en faciliter la description nous leur assignerons les lettres A à E, du plus au moins profond (
La façade extérieure est flanquée de deux tours de plan polygonal à la base, devenant quadrangulaire dans leur partie supérieure par l’intermédiaire d’un jeu de
L’analyse du tracé régulateur montre un évident désir de créer une composition aux proportions harmonieuses. L’un des schémas géométriques assumant un protagonisme majeur dans l’édifice est le rectangle pythagoricien, dont le rapport des deux côtés est de 4/3. On peut montrer sans peine que ce rectangle régit tout le plan au sol de la porte monumentale (
Pour en revenir à la seule porte, et sans prendre les tours en compte, un autre rectangle dans lequel s’inscrit un triangle équilatère inclurait tous les plans de A à D jusqu’à la ligne séparant la bande épigraphique centrale de la corniche. Un second rectangle, de rapport √2, s’appuie sur la base du premier et occupe très précisément l’espace situé entre les jambages de l’arc de passage, jusqu’au niveau de la base des impostes. Un troisième rectangle, dont la longueur cette fois est le double de la largeur, atteint la même hauteur que le précédent et couvre l’espace entre les deux piédroits des arcs des plans B et C. Enfin un quatrième rectangle surmonte la composition. Il est limité par l’encadrement de celle-ci et par la bande épigraphique ; un triangle équilatéral y est inscrit (
D’autre part, une trame de triangles équilatéraux définit la ligne des centres des quatre arcs de cercle configurant l’arc brisé outrepassé - centres confondus en fait en deux points seulement -, ainsi que le sommet de l’intrados de l’arc polylobé du plan B. Les centres des arcs de cercle les plus grands régissent également le tracé de ce même arc lobé. À quelques centimètres au-dessus de la ligne définie par ces centres, se trouve celle qui correspond à ceux de l’arc lobé du plan C (
Pour en finir avec cette analyse géométrique, il convient de signaler un curieux détail d’exécution de cette composition. Les centres des voussures des arcs lobés des plans B et C sont les mêmes que ceux d’une partie de l’intrados de l’arc brisé outrepassé. Or, la limite formelle entre ces arcs polylobés est définie par les centres de l’arc du plan C. En somme, arcs formels et arcs constructifs n’ont pas les mêmes centres (
De grandes similitudes sont observables entre la porte de Šālla et les portes d’apparat almohades, érigées un siècle et demi plus tôt
On notera des différences existant au niveau de la clef de l’arc et des motifs disposés aux angles supérieurs
Le médaillon épigraphié quadrilobé à la clef du plus grand arc peut paraître à juste titre une innovation par rapport aux formules almohades, mais il était déjà présent à Bāb Mrisa (Salé) que l’on sait avoir été édifiée dans les années 1260 (
En ce qui concerne les motifs végétaux couvrants, ils maintiennent avec des nuances le répertoire almohade, mais en réduisant sensiblement la taille des éléments constitutifs, suivant en cela le modèle de Bāb al-Ruwāḥ où il avait déjà été procédé à cette réduction
Si les coquilles timbrant les écoinçons sont formellement semblables aux modèles almohades, elles ne sont plus sculptées maintenant sur plusieurs blocs en ressaut par rapport au reste du décor et assemblés
Une autre importante nouveauté apportée par l’architecture mérinide est le recours croissant aux
Nous nous attacherons dans un premier temps aux inscriptions à double fonction, ornementale et prophylactique, des tours de flanquement. Leur contenu répétitif s’inscrit dans des médaillons polylobés sculptés en faible relief aux panneaux latéraux et frontaux de chacune de ces tours ou s’insère sous forme de motifs-types au cœur des
La localisation et la disposition de l’épigraphie est identique sur chacune des tours flanquant la porte principale de Šālla. Quatre médaillons polylobés enserrant une inscription en cursive timbrent, d’une part, le haut des façades, au centre des panneaux triangulaires définis par le jeu des
La composition est identique aux deux angles des deux tours : trois « motifs types » identiques disposés en frise entre les colonnettes engagées géminées (ou simples aux deux extrémités) qui donnent naissance aux deux panneaux de
Chaque médaillon enserre une eulogie à
Tour de flanquement droite
Médaillon polylobé nº 1, façade latérale droite (
Présente des ornements floraux et végétaux entre les graphèmes.
Médaillon polylobé nº 2, façade frontale, côté droit (
Présente quelques éléments floraux stylisés dans la partie gauche.
Médaillon polylobé nº 3, façade frontale, côté gauche (
Présente quelques petits motifs décoratifs de part et d’autre de l’inscription et dans la partie supérieure.
Médaillon polylobé nº 4, façade latérale gauche (
Présente un point diacritique sur le graphème
Tour de flanquement gauche
Médaillon polylobé nº 5, façade latérale droite (
L’inscription se développe sur un fond touffu d’entrelacs végétaux.
Médaillon polylobé nº 6, façade frontale, côté droit (
Présente des motifs floraux stylisés de part et d’autre de l’inscription. L’état de conservation de l’inscription est déficient.
Médaillon polylobé nº 7, façade frontale, côté gauche (
L’inscription se développe sur un fond touffu d’entrelacs végétaux.
Médaillon polylobé nº 8, façade latérale gauche (
L’inscription se développe sur un fond d’entrelacs végétaux. Sa conservation est excellente.
Ces eulogies à
Il est intéressant de constater que la distribution des inscriptions sur la façade monumentale de Šālla est identique à celle suivie à la porte almohade de la
Le contenu textuel du grand bandeau épigraphique est en revanche très différent du répertoire almohade (
Le promoteur des travaux est le sultan Abū l-Ḥasan ‘Alī qui succéda à son père Abū Sa‘īd Uṯmān en 1331 et se maintint au pouvoir jusqu’en 1348-49. C’est ce même souverain, qui perdit l’étendard de son père à la bataille dite du Salado en 1340
Voyons plus précisément le contenu de ces différentes inscriptions.
Motifs-types en coufique dans la frise supérieure (
Épigraphes en cursif sur l’échine des chapiteaux composites disposés aux deux côtés de la façade, répétant la formule située à la clef de l’arc (
Sur la clef de l’arc, dans un médaillon quadrilobé, en cursif sur deux lignes (
Sur le tronçon vertical droit du grand bandeau encadrant la composition, écrit en coufique
a. Tronçon vertical droit ; b. Tronçon horizontal central ; c. Tronçon vertical gauche.
Sur le tronçon horizontal supérieur du grand bandeau (en mauvais état de conservation) (
Sur le tronçon vertical gauche du grand bandeau, suite et fin du texte de fondation (
Notons brièvement que la graphie utilisée suit les modèles instaurés par les Almohades. Les motifs-types sont en consonance avec ceux de la façade extérieure de la
Les inscriptions qui ornent les portes monumentales mérinides sont héritées de l’époque almohade, mais innovent aussi par quelques traits spécifiques. Dans ce domaine de l’épigraphie, les coïncidences avec l’Orient sont parmi les plus remarquables. L’épigraphie relative à la fondation (de monuments ou d’institutions) répond à une longue tradition de l’Islam. Dans la
C’est dans cette tradition que s’inscrit l’épigraphie de la dynastie mérinide et, en particulier, celle du sultan Abū l-Ḥasan. Au travers de ce type d’inscription peut se détecter la conception du pouvoir qui prévaut en ce moment, avec la figure nouvelle du
Ainsi, à l’inscription de la porte principale de l’enceinte de Šālla, Abū l-Ḥasan ‘Alī est nommé par sa
En ce qui concerne le texte de fondation, il reprend la formule
Le terme
Aux XIIe-XIIIe siècles surgit une nouvelle figure d’ascète, homme pieux et saint personnage soufi, le
La désignation de la nécropole mérinide de Šālla comme
La tendance à réévaluer à tous les niveaux le rôle de la révélation et de la religion à partir des postulats soufis est générale à ce moment dans toute la
La porte principale de l’enceinte de Šālla est, comme il a été dit plus haut, la plus monumentale des portes mérinides, du point de vue épigraphique aussi. Aucune autre porte mérinide du Magrib al-Aqṣà n’a fait l’objet d’un programme ornemental et épigraphique aussi achevé que le sien. Bāb Mrisa de l’arsenal primitif de Salé, la plus ancienne et la plus redevable encore aux solutions almohades (
En ce qui concerne les inscriptions des portes des monuments mérinides de Tlemcen, deux d’entre elles sont en céramique : la frise sur l’arc d’accès à la grande mosquée de Sīdī Bū Madyan, datée expressément de 739/1338-39 et dont l’ordonnateur, Abū l-Ḥasan, n’apparaît que comme
Cette façade s’élève perpendiculairement à la muraille. Elle s’organise en quatre plans (A à D) du plus au moins profond (
À la clef de l’arc les rubans dessinent deux médaillons l’un quadrilobé, chaque lobe accueillant une pomme de pin, et l’autre trilobé incluant deux volutes et une pomme de pin. Ces rubans délimitent les écoinçons, aux angles supérieurs desquels ils s’entrecroisent générant une bande en « double U » dont les antécédents connus les plus anciens se trouvent à la Bāb Mrisa de Salé (
Une arcature aveugle se développe au-dessus de l’encadrement, chaque arc mixtilinéaire enfermant une coquille fleurdelisée. Cette arcature est elle-même surmontée et flanquée d’un entrelacs géométrique définissant un triple bandeau de cartouches lisses dont le lobe des extrémités fait corps avec des formes quadrilobées. Au-dessus d’une double corniche, enfin, est installé un alignement de merlons dentés, résultat d’une restauration ayant pris comme modèle le seul élément original encore en place, à l’extrémité gauche.
Comme à la façade extérieure, c’est un rectangle pythagoricien qui régit l’ensemble des éléments constitutifs de cette porte intérieure. Un autre rectangle, de rapport √2 cette fois, s’inscrit entre les pilastres et le bord supérieur de la corniche inférieure (
En dernière instance, un triangle équilatéral voit ses sommets coïncider avec la base des scoties des impostes de l’arc polylobé et le point le plus élevé de l’extrados de celui-ci ; la longueur de ses côtés est identique à la hauteur de l’encadrement.
La présence de formules et de motifs préalablement élaborés en al Andalus est patente tant à la façade extérieure qu’à façade intérieure de la porte de Šālla. Ce sont, plus concrètement, des solutions documentées dans la vallée de l’Èbre en époque
La porte dont nous venons de faire une longue description n’est pas la seule s’ouvrant dans l’enceinte de Šālla : deux autres plus modestes donnaient accès à l’intérieur du complexe (
La façade extérieure de Bāb ‘Ayn Aǧanna a été entièrement reconstruite en époque moderne, en saillie et ménageant un passage en coude simple, mais la bâtisse barlongue constituant aujourd’hui ce saillant n’existait pas à l’origine et le passage était droit (
Façade intérieure
De la façade intérieure seul subsiste l’arc brisé outrepassé. Le plan de la voussure et des écoinçons est légèrement rabaissé par rapport à celui de la façade. Les jambages sont élevés en pierre de taille mais, à partir du niveau inférieur des écoinçons, la maçonnerie associe moellon et brique, l’arc lui-même étant en brique. Il n’y a pas de solution de continuité précise entre la construction de la porte et celle de la muraille. Il ne subsiste pratiquement rien du décor à l’exception de quelques traces de rubans d’enduit qui devaient matérialiser un faux appareil ; celui-ci devait d’ailleurs s’étendre à de faux claveaux pour l’arc.
Plus intéressant devait être le décor de la façade extérieure dans son état initial, perceptible par quelques indices conservés dans les années 1920 à l’intérieur du passage coudé tardif. Il s’agissait d’une ornementation peinte sur enduit, qui comprenait d’une part un faux crénelage denté dans la partie supérieure et, d’autre part, des motifs de svastika flanquant l’ouverture (
La troisième porte, dite « des Jardins » ne présente aucun caractère monumental (
Tant la distribution des portes de Šālla que leur mode de construction et la composition de leurs décors demanderaient à être replacés dans une discussion plus large sur les portes urbaines mérinides, avec certaines de celles de Fès et de Fās al-Ğadīd, de Qaṣr al-Saġīr, de Salé (Bāb Mrisa et Bāb al-Fahran), ou de l’Afrag de Ceuta. Cette discussion nous entraînerait trop loin du thème de cet article pour que nous l’abordions ici. Nous observerons seulement que, par la richesse de son ornementation et la présence de son abondante épigraphie, la porte d’apparat de Šālla constitue une exception, Bāb Mrissa seule pouvant lui être comparée.
L’épure qui nous occupe a été tracée et peinte sur le pisé (
En gris : mortier et matériaux moderne ; en ocre jaune : superficie de
La composition d’ensemble de l’épure (
C’est de cette même façon qu’a été traité le décor d’entrelacs végétaux remplissant l’écoinçon gauche, constitué essentiellement de palmes lisses et de quelques fruits étirés, apposés en larges touches.
Une coquille timbre le centre de l’écoinçon. Des incisions et des traits de peinture noire en définissent la forme, tandis que l’intérieur des neufs lobes est alternativement peint en rouge ou laissé vide. Une série d’incisions marque le bord gauche et la limite supérieure de l’écoinçon. Les tracés de l’arc polylobé et du médaillon quadrilobé débordent largement de l’axe de symétrie de la composition mais, en revanche, ni l’écoinçon droit ni son décor d’entrelacs végétaux ne sont dessinés.
Cette polychromie strictement distribuée nous amène à poser la question d’un usage de la couleur plus étendu qu’on ne le pensait jusqu’à présent à la façade extérieure de la porte une fois terminée. Seules avaient été reconnues en effet les incrustations de céramique glaçurée (cf.
L’analyse formelle comparative entre ce qui subsiste de cette épure et la façade extérieure de la porte d’apparat confirme que l’on a affaire à un dessin préalable à l’édification de celle-ci. L’ébauche concerne plus précisément le niveau C de la composition générale de cette façade tel que nous l’avons défini plus haut (
De tous les éléments qui composent l’épure, celui qui retient probablement le plus l’attention est le médaillon à quatre lobes enfermant l’inscription cursive. Une étude complète en est faite plus avant, mais disons d’ores et déjà que le contenu de cette inscription est différent de la version finale disposé à la clef de l’arc de niveau C de la façade, même s’il relève d’un registre similaire. Un second élément diffère également, la coquille timbrant l’écoinçon : elle comporte neuf lobes et non sept comme la version sculptée et, au contraire de cette dernière, elle n’inclut pas de pomme de pin entre les volutes donnant naissance aux lobes. Quant aux entrelacs végétaux, si les motifs retenus sont bien de même nature, il n’y a pas de correspondance dans leur disposition, et la pomme de pin en est aussi absente.
Finalement, si l’arc lobé conçu à partir de l’entrecroisement de trois rubans répond au même dessin, les rayons des arcs de cercle qui le sous-tendent sont plus courts : 3,67 m dans l’épure et 4,10 m à la porte
Le médaillon quadrilobé situé au sommet de la composition de l’épure enferme une inscription en caractères cursifs disposée en deux lignes et se lisant de bas en haut (
Cette formule -
Il est intéressant de noter que l’inscription peinte de l’épure diffère de celle qui fut finalement sculptée dans la pierre, à la clef de l’arc de la façade extérieure de la porte d’apparat (
À Šālla, notre lecture de l’inscription sur pierre se base sur le fait que le terme
La grande inscription de la porte monumentale d’accès au
Les incisions n’ayant pu être pratiquées que peu de temps après que le décoffrage des banchées ait eu lieu et alors que la superficie de la
Deux hypothèses sont envisageables. La première ferait de cette épure le maillon d’une chaîne au long de laquelle d’autres versions se seraient succédées jusqu’à aboutir, par approximations successives, à une solution jugée satisfaisante finalement adoptée dans la porte ouvrant encore aujourd’hui sur la cité funéraire.
La seconde hypothèse qui s’offre à l’esprit est celle d’un schéma délibérément approximatif qui aurait eu pour seul but d’exposer à un personnage ou à un collectif déterminé l’image ou plutôt l’idée de ce qui allait être réalisé à la porte monumentale de ce «
De cette façon, le fait qu’il ait été décidé de représenter un entrelacs végétal, une coquille bicolore et un médaillon enfermant un message déterminé, donnant une idée de ce qui allait être finalement réalisé, incite à prendre en compte cette seconde possibilité.
Il est assuré que, dans son état original, l’épure ne reprenait pas la structure de l’arc dans son entier, non seulement parce que la partie symétrique de celui-ci par rapport à l’axe principal n’a jamais été matérialisée, mais aussi parce que sa partie inférieure ne l’a pas été non plus. En effet, si l’on tient compte de la position des centres de l’arc lobé par rapport au sol primitif, l’espace restant disponible était de toute façon insuffisant pour y dessiner tout élément qui serait venu compléter la composition y compris la zone des impostes. Ceci implique que n’avait pas été dessiné le schéma directeur complet, avec ses rectangles pythagoriciens et triangle inscrit déjà évoqués. Or ce schéma directeur aurait été indispensable s’il s’était agi de servir de guide ou de référence précise pour l’exécution finale de l’ouvrage.
Pour résumer, disons que sous réserve d’inventaire (dépendant de l’apparition improbable de nouveaux documents archéologiques) tous les arguments convergent pour soutenir la deuxième des hypothèses envisagées, celle d’une épure conçue comme un exposé approximatif des intentions immédiates de l’exécuteur des travaux, dans laquelle le haut degré des détails permettait au spectateur (le commanditaire, le souverain ou le responsable administratif du chantier ?) de se faire une idée très concrète de ce que serait l’œuvre en cours une fois achevée.
En tout état de cause, quelle qu’ait été la finalité de l’épure, son temps d’exposition dut être très bref ; en effet, sa superficie conserve les indices d’un badigeonnage de chaux identique à celui constituant la finition du traitement de surface original du pisé de l’ensemble de l’enceinte, tel qu’il en reste des traces sur d’autres tronçons de celle-ci. Sa présence n’était pas compatible non plus avec le faux appareil régulier, de tradition almohade, que dessinaient sur ces mêmes pans de muraille d’épais joints en rubans et dont des restes étaient encore visibles non loin, en 2013. De tels joints superposés à l’épure auraient créé un effet inesthétique, ce qui a rendu plus utile encore le badigeonnage de chaux.
L’épure étudiée dans ces pages constitue un cas unique à l’aune de toute l’architecture islamique occidentale, pour ses dimensions, le soin apporté à sa réalisation et le symbolisme dont elle est chargée. Avant-projet ou ébauche destinée à l’information du puissant personnage promoteur de l’ouvrage qui allait prendre corps, elle apporte un témoignage singulier, habituellement destiné à disparaître, sur le processus de production architecturale dont nous connaissons par ailleurs très mal le déroulement. Il est très probable que sa qualité d’exécution soit due à l’importance de l’édifice considéré et à celle de qui en ordonna la construction. Dans des situations moins prestigieuses, le recours à des supports périssables expliquerait l’extrême rareté de ce type de représentation.
Comme nous l’avons dit au moment d’en faire la description, différents aspects de l’épure de Šālla nous laissent entendre que son destinataire ultime était très probablement le commanditaire lui-même, le sultan Abū l-Ḥasan. Une autre des informations qu’elle fournit est à prendre en considération : l’usage qui y est fait de la polychromie est peut-être l’indice que l’utilisation des couleurs sur le monument une fois achevé était plus étendue qu’on ne le croit généralement.
Le caractère exceptionnel de cette épure nous a imposé de la documenter de façon particulièrement rigoureuse et cette rigueur, prioritaire, devait s’étendre à la documentation de la porte monumentale finalement édifiée. Une telle exigence de précision nous a conduits non seulement à établir des relevés photogrammétriques de l’épure et des deux façades de la porte principale de Šālla, bien sûr, mais aussi à en élaborer des représentations graphiques de haute qualité. Celles-ci deviennent à leur tour des outils d’une fiabilité éprouvée, permettant des analyses en vraie grandeur tant de la composition géométrique et du répertoire des motifs ornementaux
Dans le cas de Šālla, la documentation graphique élaborée nous amène à prendre conscience plus fortement que jamais de la qualité et de l’originalité du projet architectural et par là-même du rôle attribué à l’espace dont l’accès était ainsi magnifié. On sait que les portes d’apparat mérinides suivent de très près le patron établi avant eux par les Almohades
Si, par leur graphie, les inscriptions des portes monumentales mérinides se situent dans la continuité de leurs antécédents almohades, elles en diffèrent quant à leur contenu sur des points essentiels, en particulier par un retour à une tradition bien antérieure mettant en exergue le rôle du souverain fondateur de villes et promoteur de grands édifices. Dans ce contexte, les inscriptions des sultans mérinides - et celles d’Abū l-Ḥasan en sont parmi les meilleurs exemples - manifestent une nouvelle conception du pouvoir, celle du
À la grande porte de Šālla, Abū l-Ḥasan ‘Alī est nommé par sa
À Šālla, la partie du texte relative à la fondation, n’innove pas quant à l’action elle-même (
Notons que la tendance à réévaluer le rôle de la révélation et de la religion à partir des postulats soufis n’est pas exclusive des Mérinides, mais est documentée au même moment un peu partout dans le domaine islamique méditerranéen. Ainsi nombre d’inscriptions montrent que le titre de
La porte d’apparat de Šālla est la plus complexe et la plus richement décorée des portes monumentales mérinides. L’inscription qui court sur sa façade est elle aussi exceptionnelle. À Salé, Bāb Mrisa, qui est plus ancienne et dont la fonction est bien différente n’a encore recours, selon la solution almohade, qu’à des formules coraniques tandis que la
De toutes les constructions mérinides de Tlemcen seul lui est comparable le minaret-porche de la grande mosquée d’al-Manṣūra, dont l’inscription - presque contemporaine de celle de Šālla - désigne l’ordonnateur comme
Au-delà du raffinement de son décor et de la composition géométrique de ses volumes, proclamation ostentatoire de la maîtrise de ses constructeurs et du personnage qui les a inspirés, la grande porte de Šālla n’est pas un simple accès mais la manifestation monumentale de l’action menée par le sultan pour la défense et la propagation de la foi.
En un siècle, de 1260 à 1360, les sultans mérinides fondèrent une dizaine de villes, certaines éphémères, depuis le détroit de Gibraltar jusqu’au sud de l’Atlas, et répondant à des fonctions diverses (capitalité,
Abū l-Ḥasan poursuit la politique de ses prédécesseurs : sous son règne se termine la construction d’al-Manṣūra (ou al-Āfrāg) face à Ceuta, tandis qu’al-Manṣūra face à Tlemcen est restaurée et que se bâtit al-Manṣūriya près de Siǧilmāssa (
Cependant, le geste architectural le plus fort d’Abū l-Ḥasan est probablement la fondation de Šālla, dont l’enceinte est achevée en 1339. Son attachement à ce qui semble son œuvre maîtresse,
Au vu de cet aperçu du double intérêt porté par les sultans mérinides, et d’Abū l-Ḥasan en particulier, d’une part à la fondation de villes et d’autre part au
Si l’épure de Šālla constitue donc bien un indice supplémentaire indirect de l’implication personnelle du sultan dans les processus de fondation dynastique urbaine, on aura garde d’oublier qu’elle est aussi une pièce exceptionnelle à verser au dossier de l’histoire de la pratique architecturale dans l’Occident médiéval islamique.
À peine 5 cm dans la plus grande largeur pour les premiers et 10 cm pour le dernier.
Auparavant, l’ensemble monumental avait fait l’objet d’une description encore incomplète et confuse dans
La mission sur le terrain a été menée à bien les 11-13 février 2013 grâce à un financement attribué par le CIHAM (UMR 5648, CNRS, Lyon) et avec l’autorisation de la Direction du Patrimoine Culturel (nº 894 du 2 novembre 2012), dont le directeur était à l’époque M. Abdallah Alaoui. Outre celui-ci, nous tenons à remercier M. Aomar Akerraz (ex-Directeur de l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine, Rabat), et M. Hicham Rguig (ex-conservateur de Chella) pour leur appui à ce projet et pour l’accueil qu’ils nous ont réservé à Rabat.
Sur les portes d’apparat almohades nord-africaines et mérinides, voir les travaux de
Sur le décor végétal des portes urbaines médiévales du Maroc, voir l’article ancien de
« Droit(e) » et « gauche » sont utilisés dans cette description en supposant l’observateur situé à l’extérieur de l’enceinte et face à la porte.
Les motifs en caractères coufiques des
Selon son inscription, cet étendard fut fabriqué dans la
La lecture et la traduction indiquées ici ont été réalisées à partir de l’état actuel de conservation de l’inscription de fondation. Notons que cette lecture diffère de celle publiée initialement par
Ceci constitue le début de l’inscription, précédée des trois formules introductives typiques :
Dans leur version de 1922,
Pour
Les deux adjectifs,
Cette même expression se retrouve dans l’inscription rendant compte de l’institution d’un
Ce retour aux textes de fondation se fit progressivement : le contenu des premières épigraphies monumentales mérinides était encore exclusivement religieux, ainsi à la Bāb Mrisa de l’arsenal de Salé. Son inscription inclut les trois formules introductives de tradition almohade et une longue citation coranique (Q. LXI, 10-13) [
C’est le titre qui, sans aucun doute, est donné à Abū l-Ḥasan sur l’un des étendards mérinides conservés à la cathédrale de Tolède (
Cette même séquence de trois termes précède la mention du calife hafside Abū Ḥafṣ ‘Umar al-Mustanṣir bi-llāh dans les inscriptions de fondation de Bāb Riḥāna et de Bāb al-Mā’, toutes deux à la grande mosquée de Kairouan (Tunisie) et avec la même date expressément indiquée (693/1293-94) [
La titulature complète figure également sur la stèle de fondation encastrée dans le premier pilier à gauche du
Sur Ibn al-Ḫaṭīb et Šālla, voir
Une photographie de cette pièce, de même que la lecture qu’en fit A. Labarta, a été publiée dans la revue
Dans deux inscriptions de fondation de La Mecque, datées de 529/1134-35 et de 575/1179-80 (
Sur ces trois inscriptions, voir
Ce même fragment coranique avait été utilisé en époque almohade, au bandeau de la porte de la
L’un de nous (María Antonia Martínez Núñez) a eu l’occasion de réviser les inscriptions de l’ensemble des portes monumentales mérinides, dans leur état actuel de conservation. À la porte de la mosquée Lalla al-Zahra, fondée sur l’ordre d’Abū ‘Inān (759/1358) sont reproduites les formules introductrices et Q. XV, 46-47 (
H. Basset et É. Lévi-Provençal interprètent différemment ce motif, puisqu’ils le considèrent comme étant constitué de deux palmes enserrant une coquille (
À notre connaissance, il n’existe pas de terme en français pour désigner ce traitement particulier de l’arc.
Dans le premier cas, la mesure a été effectuée en prolongeant virtuellement les lignes incisées et en supposant un niveau de sol original identique à l’intérieur et à l’extérieur de la muraille, dans ce même secteur au moins.
Le découvreur de l’épure, J. Borély, n’est pas de cet avis, mais n’argumente malheureusement pas son opinion : « J’expliquerai ailleurs comment et pourquoi on peut penser, d’après l’enchaînement des constructions, que la muraille du ribat est antérieure à la porte d’Aboû el-Hasan et cette porte antérieure à l’hôtellerie » (
Logiquement, la restitution graphique précise des inscriptions a supposé un dialogue constant entre photogrammètres et épigraphiste.
D’une façon générale, il est clair que l’art mérinide est, tout autant que l’art nasride, redevable aux modèles almohades, et cela à de nombreux niveaux. En dresser la liste et reconstituer le cheminement de ces influences dépasserait amplement l’objectif de cet article.
N’étant évidemment pas isolées de la muraille, ces deux tours ne sont pas pentagonales, c’est leur saillant qui l’est.